RIF 2014 : et au milieu coule une rivière

Construire une équipe de manière anticipée : on a fait
Etablir les rôles de chacun : on a fait
Se préparer physiquement et mentalement : on a fait
Organiser la logistique : on a fait


A quelques micros détails près, on se rend au Puy en Velay avec un état d’esprit et une sérénité qui donne l’impression d’être invincibles. Toute la famille Raid In France est là : le cerveau, inconsciemment, fait le lien entre des images et des sensations : la vue de ces visages, ces sourires, lui procure du plaisir, il doit y avoir, bien caché dans ses méandres, des émotions qui resurgissent à l’unique apparition dans le champ de vision de ces oriflammes, de ces hommes, ces femmes qui lui ont tant donné. Et il entend bien en reprendre une grosse tartine. L’anticipation de la préparation des bidons nous permet de prendre calmement tous les derniers préparatifs. On profite même de ces instants qui sont d’habitude des moments de stress. Le briefing et la découverte du déroulé du parcours nous met tout de même dedans : on tente de deviner ce que sont les sommets, les canyons ou autres rivières. Mais nous nous reconcentrons rapidement sur le décryptage du road-book afin de traduire et d’établir notre propre ligne de conduite concernant le matos obligatoire.

 


Au matin du grand jour, Agnès et Amélie nous rejoignent chargées de victuailles fait maisons afin de permettre à nos papilles de se délecter une dernière fois de superbes saveurs avant la déferlante de ziplocs, barres et saloperies en tous genres. Sacs bouclés, bidons et caisses pesées, c’est toujours dans une sérénité (toute relative) que l’on se positionne sur l’étroite ligne de départ du prologue. Petit tour de village et je prends la carte en tête, Oli, Fanny et Niko sont là : on décampe ! Après 2 postes j’ai complétement finalisé l’ordre dans lequel on fera les balises, les ruelles du Puy bien que pentues sont superbes et défilent. On rentre rapidement sur l’arrivée, je déplie la carte afin de m’assurer de ne pas avoir omis un poste aux extrémités : c’est ok, aucune équipe n’est là. Mais lorsque Niko met le Sport Ident dans le boitier arrivée je me rends compte de l’horreur : j’ai oublié le poste 50, là, à 150m de l’arrivée. Décomposé, je pense d’abord à mes équipiers qui me font confiance et que, par manque de rigueur, par excès d’orgueil, je viens de mettre dans une bien mauvaise position avant même le départ de ce challenge qu’on attend tous depuis tant de semaines. Je m’en veux terriblement, me promets intérieurement qu’il s’agit de la dernière erreur du raid… la transition VTT de 35km se passe mais les jambes ne tournent pas toutes seules. La tête toujours dans ce foutu prologue on se blottit au fond des duvets pour une dernière nuit toujours agitée.
5h30 : on se rue sur les canoës et prenons rapidement le large : nous avons un grand nombre de balises à pointer par rapport à nos adversaires directs que j’imagine déjà s’éloigner irrémédiablement. Après plusieurs diagonales dans ce lac tout en rondeur et quelques approximations à l’approche des postes on atteint afin le parc à vélo alors qu’il ne reste plus beaucoup de frontales sur l’eau. Rentrer rapidement dans la fameuse et redoutée carte au 1/50000, sans pour autant s’affoler. Les premiers choix sont fluides et nous doublons bon nombre d’équipes. Alors que le jour se lève nous abordons la descente vers la première transition. On est déjà revenu dans le top 5, à quelques minutes de la tête : l’erreur du prologue est oubliée. Le canoë suivant alterne petits rapides et plats, nous nous efforçons de naviguer proprement et vidons régulièrement les kayaks qui ne sont pas auto-videurs.  Nouvelle transition rapide pour enchainer sur un court trek avec tout le matos kayak sur le dos. Ça s’est regroupé à l’avant avec Raidlight et Raid 74. On renfile les combi pour un raft monotone car le volume d’eau est critique, dommage qu’EDF ne nous ait permis de jouer un peu dans les vagues. A la transition suivante la course commence vraiment avec un VTT de 95km. On s’élance avec Raidlight, la première montée pique sévèrement les mollets, le soleil me conseille d’en garder sous la semelle. On aurait dû profiter d’échanger un peu avec les copains, car c’est la dernière fois qu’on les voit… on prend doucement notre rythme, l’orientation reste fluide et nous progressons bien.

Après 60km, alors que le soleil passe derrière les montagnes, nous accusons un retard de 25min. Rien d’alarmant d’autant plus qu’avec la fraicheur on sait qu’on sera plus à l’aise. Le plein d’eau à la fontaine, 4 pommes dérobées sur l’arbre et on roule vers les 25 derniers kilomètres de cette première longue section. Est-ce la pomme de Blanche Neige (pourtant elle n’était pas rouge) ou bien l’eau trop fraiche de Duguesclin ? Toujours est-il  que mon ventre se met en effervescence. Je ne m’affole pas, ça arrive souvent et puis ça passe. Mais la douleur s’amplifie. Je tente de me faire vomir sans grand succès. Raid 74 revient sur nous et nous faisons chemin ensemble. J’ai de plus en plus de difficulté à suivre et je sors souvent de la carte jusqu’à ce que mon estomac sature, je vomis en grand. Plus rien dans le bide, la glycémie ne tarde pas à tomber dans les chaussettes. On arrive enfin à la transition, je suis au plus mal, tremblant il m’est difficile de me changer alors que Niko et Oli prennent en charge mes affaires, ils rangent mon vélo, refont mon sac. Mais nous perdons de nombreuses minutes. Mon inaction est déplorable. On repart, à reculons pour ma part, je me serais bien blotti dans mon duvet. Je m’efforce de lire la carte tout en fournissant autant d’efforts pour avaler quelques morceaux de fruits au sirop. On plonge dans le vallon où se trouve le premier poste. On longe le ruisseau en tentant de ne pas trop se mouiller les pieds mais on atteint la prairie sans avoir vu trace d’une toile. On remonte, les douleurs abdominales sont oubliées, tout autant que l’idée de ne pas mettre les pieds dans l’eau. Toujours pas de poste alors qu’on est revenu au rentrant caractéristique qui rejoint la rivière : m… la redescente se fait ventre au fond du ruisseau pour être sûr. Mais toujours rien. On décide de laisser tomber toujours accompagné de Raid 74. La suite de la progression est usante avec le poids de cette balise non trouvée. Au cp suivant on nous apprend que Raidlight n’a pas trouvé non plus le poste. Ça rassure mais la suite de la progression n’en est pas moins facilité : remonter un ruisseau aux eaux gelées sur plusieurs kilomètres avec pour unique alternative les ronces et les orties qui bordent le cours d’eau. Oli ne comprend pas qu’il n’y ait pas un autre choix possible, je tente de booster la troupe mais la motivation est minime. On réussit tout de même à emprunter sur quelques centaines de mètres un sentier qui finalement se perd nous obligeant à replonger dans ce ruisseau. Le soleil se lève avec la fin de la galère. On s’accorde une longue pose pour tenter de soigner et préserver nos pieds. Cependant le rythme reste lent et le moral n’est pas au beau fixe. Niko se plaint de démangeaisons, ses jambes sont truffées de plaques rouges. Un nouveau stop pour le badigeonner de bétadine et le bourrer d’anti-histaminique.

C’est finalement le retour des copains d’Arverne qui va remettre le Gamin dans le droit chemin : au pied du Mezenc, Steph, David, Seb et Aurélie nous reprennent et un nouveau vent souffle alors dans nos tronches. On double notre vitesse de progression et avalons les sommets, balises et kilomètres avec un tout autre état d’esprit. La fin de cette longue section se fait en compagnie de nos équipes de poursuivants (Arverne et Raid 74), elle est synonyme de premier repos. Et si nous en avions encore besoin, elle nous confirme que les copains de Raidlight ont quasi irrémédiablement pris le large puisqu’ils possèdent 4h d’avance sur notre trio d’équipes. On se change, préparons les vélos et attaquons notre premier repas. Nous nous goinfrons sans limite enfin presque… Fanny semble peu enthousiaste devant son aligot. Malgré tout elle se force, ça ne passe pas et elle ne tarde pas à vomir l’intégralité du repas. On ne s’affole pas, on va profiter des 3h de repos et tout va rentrer dans l’ordre. Au loin, malgré les bouchons dans les oreilles on entend que l’orage gronde. Le sommeil est léger mais le repos malgré tout réparateur. Lorsqu’on retrouve nos vélos sous une faible pluie nous ne comprenons pas l’état du parking : une tempête semble s’être abattue. Lorsqu’on verra les photos et le cumul de grêle qu’il est tombé durant ces 3h tout deviendra limpide.
Fanny n’a pas la mine des grands jours mais nous repartons avec de bonnes intentions. La pluie s’arrête et nous profitons même des derniers rayons du soleil. A nouveau avec Raid 74, nos routes se séparent pour se retrouver à nouveau croisant également celle d’Arverne. Nous terminons finalement ce VTT avec des écarts faibles. Aussi faible que la température au moment d’enfiler les combi néoprène mouillées pour s’élancer dans le canyon de la Haute Borne. On redoutait tellement l’idée de se jeter dans ces eaux froides que finalement ça passe bien. Toujours, on ne traine pas dans les vasques et atteignons rapidement la sortie du canyon. Nous longeons alors la rivière pour atteindre la balise 17, le soleil se lève. Tout irait bien si Fanny arrivait à avaler quelque chose, mais rien ne semble passer. La montée droit dans la pente sous la balise 18 nous confirme que la miss ne va pas bien. Oli lui porte son sac (enfin lorsqu’il ne s’endort pas…) Niko tache de l’accompagner pendant que je tente de trouver le passage le moins contraignant. Le col où se trouve le poste nous permet de découvrir l’ampleur de ce qu’il nous attend : un grand vallon à traverser pour rejoindre la transition que l’on devine. Mais une mer de genets s’étend à nos pieds. J’aperçois aussi Raid 74 qui progresse difficilement dans la zone. Je décide de contourner le sommet pour descendre au plus droit sous la transition et limiter la progression dans les genets. Mes équipiers ne paraissent pas convaincus de l’intérêt du détour, mais lorsque nous entamons la descente la progression est nettement plus aisée que sous la balise et nous ne tardons pas à rejoindre le chemin carté. La fin de la descente se fait en sous-bois comme la remontée en face. Raid 74 est là depuis une vingtaine de minutes et Arverne que l’on avait aperçu sur la crête n’est pas encore arrivé. On fait une transition correcte et repartons sur les talons des hauts-savoyards avec une Fanny toujours aussi tristounette. Je m’applique en orientation car certains passages sont piégeux et trouve sans trop de difficulté le passage permettant de rejoindre la piste puis les canoës. Cependant une branche vient perturber cette fluidité et tord sérieusement mon dérailleur. Niko le magicien tire, presse, tord retourne le dérailleur, la patte et je me retrouve avec une transmission presque opérationnelle. On traverse le bras de lac et enchainons la montée vers un territoire qui nous est de plus en plus familier. D’en haut on aperçoit personne sur le lac : on a semble-t-il fait le trou. A la transition du Roure, plusieurs équipes re-routées sont présentes : les copains d’Agde plus qu’à 3 après la blessure de Phil, les XTTR, Elsa, Thierry, Denis… on perd un peu de temps en discussion, pendant que Niko s’affaire au changement dérailleur/patte de dérailleur de mon biclou. Fanny ne trouve toujours pas la parade pour avaler le moindre ravito, je commence à me demander comment elle fait pour tenir vu le peu de réserve qu’elle a.

Plouff dans le Chassezac et on remonte déjà sous la Garde Guérin. Arrêt au stand dans la petite boutique au pied de la tour et Fanny trouve enfin le Graal : de la truite fumée, elle qui rêvait depuis plusieurs heures de sushi ! Elle avale doucement le met pendant que de notre côté on s’empiffre une nouvelle fois. On ne galère pas pour trouver la descente sur le lac de Villefort et encore moins pour optimiser les trajectoires sur ces eaux que l’on a tant pratiquées durant l’été. A chaque transition on croise de nombreuses têtes familières, quelques sourires, quelques mots remettent du baume au cœur. Au départ de « Notre » section on est remonté à bloque. On entame ce trek du Mont-Lozère plein de vigueur, Fanny a repris des couleurs : tous les voyants sont au vert ! On monte sur un bon rythme, discutons de sujets ultra-secrets et atteignons rapidement le premier CP au chalet de l’aigle. On enchaine encore, balise 12, longue piste où nous courons régulièrement. Balise 13, 14 et la redescente sur Masméjean plutôt surnaturelle avec Oli et Fanny qui commencent à délirer alors qu’avec Niko, encore lucides pour quelques heures, nous ne ratons pas une miette de leurs propos… L’arrivée à la transition se fait avec celle de la pluie. On décide de s’abriter quelques minutes pour faire un somme. Un quart d'heure plus tard nous sommes en selle sous une pluie soutenue. Malgré ma connaissance du secteur il me faut faire un soleil dans le fossé pour constater que l’on n’a pas pris la bonne piste. Petite coupe et on renfourche, tout le monde ressent maintenant la fatigue et malgré la pluie, le vent et le froid, le sommeil nous envahit. Nous ne pouvons discuter ensemble afin de se tenir éveiller. Chacun se parle à lui-même et c’est dans ce cadre surnaturel que l’on progresse lentement mais sans faire d’arrêt. L’orientation est coton et je mobilise toute ma concentration pour ne pas commettre d’erreur. Finalement le jour se lève, la pluie se calme et nous apercevons le village de Vébron. Petit relâchement et manque de réussite nous obligent à remonter chercher un sentier car celui qu’on tentait d’emprunté n’existait plus : 30min de perdues. Au départ du trek suivant on apprend que la spéléo est annulée car la rivière souterraine est trop montée. On espère qu’il n’en sera pas de même pour les sections kayaks aux pieds des Cévennes.  On monte sur le Méjean où la pluie et l’orage ont laissé place à un épais brouillard. On se faufile entre les collines non sans mal en orientation mais nous atteignons tout même le chao de Nîmes le Vieux. Grosse déconcentration (encore à l’approche de la transition) et je m’éloigne de mes équipiers pour chercher le poste. Quand je mets la main dessus je reviens les chercher mais ne les trouve plus, je refais le tour, peut-être ont-ils également trouvé la balise. J’y retourne mais personne. Un nouveau tour et je les aperçois enfin. Je leur passe un soufflon alors que les tords sont partagés et nous rejoignons la transition énervés : 45min perdues bêtement par précipitation de ma part.

Le soleil se dévoile et nous accompagne lors de la superbe descente et la dure remontée sous l’Aigoual que l’on devine dans les nuages. Une longue ligne de crête où Niko aide encore et toujours Fanny qui fend le cœur. On descend sur le village d’Oudret grâce aux conseils précieux d’un riverain et entamons la longue remontée vers Camprieu. Fanny n’a plus d’énergie pour pédaler alors que la pente est moindre. On aperçoit enfin la plaine du Bonheur (c’est le nom de la rivière) lorsque l’orage nous surprend. Quelques centaines de mètres et on rejoint l’assistance 2. Il est 19h00, on nous informe que l’arrêt sera de 5h et que le kayak suivant est annulé. Les copains de Raidlight se préparent à repartir, ils ont 4h30 d’avance. Mais alors qu’on se ravitaille, ils sont finalement stoppés : la course est arrêtée. Toutes les équipes vont être rapatriées sur Camprieu et l’on sera informé de la suite dans la matinée le lendemain. Pascal et son équipe gère les événements d’une main de maître alors que dans leur tête ça doit être l’accablement. On est frustré, nous avions trouvé notre rythme, les sections kayak que l’on redoute d’habitude ne nous effrayaient pas cette année car nous avions largement préparé celles-ci. Mais c’est ainsi.


Le lendemain Pascal nous explique qu’ils organisent au mieux une arrivée à minima avec un transfert jusqu’à Aigues-Mortes pour effectuer les sections d’équitation et de trail sur la plage. Le cheval sera un bon moment de plaisir partagé avec les vainqueurs intouchables. Finalement toutes les équipes franchiront la ligne avec presque autant de saveur que si le raid avait suivi son cours.
Nous n’avons pas pu lutter pour la gagne comme nous pensions pouvoir le faire. Audrey, Seb, Adri et Toto étaient plus forts, mais malgré tout que c’était bon, quelle chance de courir avec ces équipiers qui savent, avec qui des regards suffisent, qui pardonnent, qui tolèrent, et qui remettent dans le droit chemin. On peut se dire les choses sans arrière-pensée. Fanny, en quelques mois a trouvé sa place au milieu de 3 bourricots têtus, inélégants et égoïstes. Il nous a manqué un poil de rigueur, et un sonneur de cloche qui nous pourrisse lorsqu’on s’arrête, lorsque les transitions durent trop, lorsqu’on se permet de discuter le bout de gras trop longuement… mais je suis sûr qu’une miss de 1m55 pour 45kg pleine de glucide saura dans le futur jouer ce rôle ingrat.
Un grand merci à cette belle équipe, qui, si 4 membres sont en course, est bien plus grande : Agnès, Amélie, Audrey, Yohann, vous nous avez portés, supportés, transportés, éclairés, encouragés… à des heures improbables on vous découvrait sur des aires de transition perdues alors que vos journées étaient par ailleurs occupées par le travail : Chapeau-bas et merci !
Une nouvelle belle page de Raid In France s’est tournée. Comme chaque fois je me suis promis que c’était la dernière lors de la première nuit et comme chaque fois je ne pense qu’à une chose c’est remettre ça.