ARWS Argentine : Tierra Viva

Sur la plage de sable noir du Lac Lolog toutes les équipes s’affairent autour de leurs kayaks pour les derniers préparatifs, dosserets, voiles, sièges… seuls 2 embarcations restent vierges de toutes adaptations.

Ce n’est que quelques minutes avant le départ que débarquent les 4 extra-terrestres avec uniquement pagaies et gilets et un bout de tapis en mousse sous le bras. Toutes les équipes les regardent et les saluent avec respects, abasourdies par leur décontraction alors que nous sommes au départ d’un raid de 5 jours. Chacun ne rate pas une miette de leurs faits et gestes comme si, dans l’esprit de tous, on savait déjà que les occasions de les voir après le départ seraient rares.


Comment en sommes-nous arrivés-là : au mois de septembre Adrien Lhermet m’appelle pour me proposer de courir avec lui et son copain Laurent Valette une manche ARWS en Argentine. Si j’ai encore dans les jambes et la tête la récente participation au RIF qui a laissé des traces tant physiquement que moralement, je sens déjà en lui une forte envie d’en découdre. Quelques jours de réflexion et je décide de tenter l’aventure, jamais vu l’Amérique du Sud. Lorsque je lui confirme ma participation, il m’annonce que Sonia Furtado sera notre féminine. Quoi rêver de mieux ?

Quelques mois de préparations physique, logistique et administrative plus loin nous nous retrouvons à l’aéroport de Buenos Aires, ils arrivent tous les trois de Genève alors que de mon côté j’en avais profité pour prendre quelques jours de vacances au pays du Tango et surtout du vent. Direction Bariloche où nous attend « El Gringo » un membre de l’organisation très attachant qui parle quelques mots de français. Il sera notre guide durant l’avant course. 150km de 4x4 dont 90 sur une piste et une crevaison plus loin, nous découvrons de nuit la ville de San Martin de los Andes. Superbe bourg aux nombreuses bâtisses en bois. Tout aussi superbe la Cabaña qui nous est allouée.

Nous passons la journée du vendredi à remonter les vélos et commencer la préparation du matériel. Nous découvrons que nous avons comme voisins les Néo-Zélandais Seagate et prenons le temps d’échanger quelques mots avec eux entre 2 entraînements (pour eux !). En effet, alors que de nombreuses averses égrainent la journée, ils sortent une première fois en vélo, rentrent 2h plus tard et repartent quelques minutes après à pied…

Nous profitons, le samedi, d’une belle éclaircie, pour à notre tour aller faire tourner les jambes et prendre un peu de hauteur pour découvrir les montagnes qui nous entourent même si elles ne nous livrent pas tous leurs secrets car elles ont encore un peu la tête dans les nuages. Sur le Camp de base où nous passerons entre chacune des étapes du raid, nous effectuons les vérifs matos qui sont bien moins stricts que ce à quoi nous sommes habitués en Europe. Nous installons également matériels et ravitaillement dans la tente qui nous a été installée. Mais nous rencontrons surtout un tas de gens très accueillant et soucieux de nous offrir une belle image de leur territoire. El Gringo passe son temps à dire aux autres équipes : « les Français très forts… grosse équipe… ». Nous rencontrons également Inès qui parle anglais et un peu français, et qui nous aidera dans la compréhension du briefing qui se tiendra en Espagnol le dimanche. Ce dernier nous révèle quelques infos supplémentaires sur le déroulement de la course :
3 étapes :
- départ lundi matin en kayak puis VTT pour rejoindre le Camp
- VTT/trek de plus de 30h
- la 3ème étape se décompose en 3 sous étapes que l’on pourra effectuer dans l’ordre de notre choix :
- Kayak
- VTT
- VTT/trek

Le lundi matin nous nous rendons sur la plage du lac Lolog à VTT pour le départ qui aura lieu à 11h. Malgré la décontraction naturelle des Argentins la tension est palpable. Les seuls qui semblent ne pas y succomber sont les Néo-Z. Guri le directeur de course lance le décompte et tous les bateaux sont jetés à l’eau face au vent qui devrait se renforcer au cours de la journée. Nous prenons un excellent départ, Sonia et Laurent sont devant et nous suivons avec Adri de près. Nous ramons bon rythme, et sommes parmi les équipes de tête. Toutefois, Seagate s’envole déjà. Nous nous calons à la 5 ou 6ème position et les écarts grandissent petits à petits. Le vent et les vagues se renforcent comme prévu et nous luttons pour progresser. Le côté positif c’est que cette section kayak est un aller/retour nous devrions donc profiter au retour du soutien de la nature. Déjà plus de 5h que nous sommes partis. Laurent semble à l’aise alors que de mon côté je souffre du coude. Adri fait l’effort pour que l’on reste au contact. Nous virons au bout du lac toujours en 6ème position, mais un rapide pointage nous permet d’estimer notre retard sur Seagate à environ 45min et sur les autres équipes à 20min. Les voiles nous soulagent un peu sur le retour malgré tout j’ai de plus en plus de mal à pagayer alors que mes équipiers semblent bien. Après 9h de kayak nous arrivons au bout de ce qui s’est apparenté à un calvaire pour moi. On enfourche rapidement les vélos pour se rendre au Camp Central où nous engloutissons nos premiers hamburgers qu’Inès prépare dans sa cantine.

On s’élance ensuite sur la plus longue étape du raid : environ 130km de VTT entrecoupé de 2 treks d’environ 5h et 20h. La progression peut se faire dans le sens de notre choix. Nous décidons de se rendre au départ du trek le plus court et le plus éloigné. La nuit est tombée et il nous faut rouler une trentaine de kilomètres sur une route où la circulation est importante. Adri roule devant à un gros rythme. Sonia fait l’effort pour suivre la cadence. Nous bifurquons sur une grosse piste où Adri soulage Sonia. Petit à petit nous rencontrons des petites côtes puis des montées. L’arrivée au premier trek est interminable. Nous enfilons les runnings en milieu de nuit pour un premier trek qui semble assez court sur le papier. Il n’y a qu’un sentier représenté sur la carte mais rapidement nous doutons qu’il corresponde à celui sur lequel nous sommes. Nous tentons à plusieurs reprises de se caler avec les montagnes qui nous entourent mais il fait nuit… Adri décide de tenter une coupe, j’y suis que moyennement favorable vu la densité de la végétation. Nous montons droit dans la pente et surtout droit dans la verte. Mais d’après l’alti nous sommes encore loin du sommet. On décide finalement de redescendre prendre le sentier qui s’avérera être le bon. On comprendra plus tard pourquoi ça ne nous convenait pas. On monte en direction du premier CP et quittons la forêt pour un terrain volcanique noir de toute beauté, même de nuit. A l’approche du premier CP nous croisons l’équipe 1 qui a déjà en poche le CP suivant. Nous avons pris un bon retard. Nous montons ensuite vers ce second CP qui se trouve à un col alors que le jour se lève. C’est maintenant Sonia qui soulage Adri et Lolo qui m’aide à ne pas m’endormir. Lorsque nous débouchons au col un superbe paysage s’offre à nous : le volcan Lanin en toile de fond.

 

On prend quelques secondes pour admirer et prendre une paire de clichés. La redescente se fait à un bon rythme. On trottine même par moment. On remonte sur les vélos pour quelques kilomètres afin de se rendre au départ du long trek. Nous entamons celui-ci vers 10h30 et le soleil chauffe déjà bien les corps. Une longue montée nous amène sur les crêtes. Nous apercevons de là une bonne partie de ce qu’il nous attend dans les heures à venir : chantier ! Sonia et Laurent sont toujours aussi à l’aise à pied alors qu’Adri semble moins souffrir. On double plusieurs équipes et effectuons une bonne progression le long des crêtes. La redescente dans la vallée s’avère plus délicate : une belle paroi rocheuse nous oblige à un grand détour. Les falaises, comme la végétation ne sont pas représentées sur les cartes. Il nous faut ensuite se frayer un passage dans un épais manteau de végétation limite impénétrable puis cheminer durant près d’une heure dans une rivière. Il est 23h, nous nous arrêtons 12min pour dormir car Laurent ne tient plus éveillé. Au CP suivant plusieurs équipes s’affairent autour d’un feu. L’organisateur présent nous explique qu’il y a du mauvais temps sur les sommets et nous déconseille d’y monter. On s’assure qu’il s’agisse bien que d’un conseil et non d’une obligation et nous nous élançons quand même pour la suite. Sonia angoisse un peu à l’idée d’être confrontée aux mauvaises conditions. Nous montons droit dans la pente et droit dans les bambous. On sort finalement de la végétation pour être secoué par un vent violent. On tient difficilement debout mais nous continuons notre progression. Adri assure l’orientation. Nous passons un premier col puis cheminons à flan dans un grand rentrant, puis un second. A-t-on traversé les 2 grands rentrants ? Nous avons un doute. On amorce la descente le poste se trouvant logiquement plus bas. Mais l’avancée qui devait logiquement faire un petit col ne semble pas correspondre. On effectue plusieurs aller/retour avant de se rendre à l’évidence on n’est pas au bon endroit. Le vent nous use, il est 5h. Adri suggère de dormir 1h et d’attendre le levé du jour pour se recaler. Bonne décision, on trouve un coin abrité et sortons les duvets pour notre premier vrai sommeil. A 6h la lumière du jour nous permet de nous recaler, nous étions à plus d’un kilomètre du CP… Malgré le jour nous avons des difficultés à trouver le col. Les cartes ne comportent que peu d’éléments et de plus les courbes de niveau qui sont finalement les seules informations utilisables se trouvent être grossières et imprécises. Va falloir en tenir compte pour la suite. On retrouve rapidement le CP où nous avions laissé les vélos et prenons la direction du Camp central. Mais il reste près de 50 km et nous n’avons plus de nourriture. La première fringale tombe : Adri n’avance plus, je lui tends l’élastique, on reste bien groupé pour profiter au maximum de l’aspiration. Sonia sent elle aussi l’hypo pointer son nez. Je la soulage à son tour et on serre les dents pour rallier le Camp. Nouvelle rafale de hamburgers accompagnés de pâtes.

 


On doit alors faire le choix de l’ordre que l’on adoptera pour les 3 dernières sections. Il est 13h et le kayak ferme à 21h, nous estimons rapidement à 8h la durée de celui-ci, mais l’orga nous conseille de le faire maintenant en nous spécifiant qu’ils estiment entre 4 à 6h la durée. On suit leur conseil… Et descendons rapidement vers le lac en vélo. Lorsque nous embarquons il nous reste 6h30 avant la fermeture de la navigation. Mais on voit rapidement qu’il sera impossible de rentrer avant 21h. Que faire : demi-tour et revenir sur la section plus tard ? Continuer et passer la nuit au bord du lac ? On décide de continuer. A 21h nous sommes au dernier CP à environ 45min de la fin du kayak. La police maritime nous arrête sur la plage. Il fait un froid glacial, je suis frigorifié. Adri fait rapidement un feu pendant que Laurent explique à la Police que nous n’avons ni vêtements ni nourritures. Les organisateurs nous amènent plus tard des couvertures et une boite de lentilles. Malgré tout nous passons la nuit à grelotter sans réellement dormir. Le matin nous reprenons la navigation à 7h45 et terminons ce maudit kayak. On pense alors avoir perdu de nombreuses places. Pourrons-nous encore jouer le top 5 ?

On rentre au camp où l’équipe 1 vient d’arriver du VTT, alors que la veille nous n’étions qu’à 1h15 d’eux. Cependant, ils semblent vraiment en piteux état. On repart en VTT pour se rendre sur le trek avec l’idée de faire la première partie hors sentier de jour. L’accès en vélo monte raide. Lolo souffre d’un genou, je l’aide un peu. On pose les vélos et partons pour ce trek d’environ 20h. Fort des déconvenues précédentes, nous nous appliquons à trouver les bons passages pour traverser la végétation et trouvons le sentier qui nous amène aux crêtes. Il fait terriblement chaud et la brise qui souffle sur les hauteurs fait du bien. On redescend dans la végétation en prenant toujours soin de choisir les passages les plus ouverts possibles. On croise et double plusieurs équipes. Le rythme est bon. On se permet de trottiner dans la longue descente qui nous amène au bord du lac. Petite pause 10min pour un dodo éclair car Adri ne tient plus et on repart pour une épreuve mentale : 15km à longer le lac. Remonter difficile sur le dernier col. Sonia aide Lolo pour qu’il ne s’endorme pas, je suis à peine mieux. Nouveau sommeil de 10min et nous finissons ce trek par un marécage qui n’arrange pas l’état de nos pieds meurtris par les kilomètres dans les cailloux.

Nous avons tous un peu le moral dans les chaussettes, mais El Gringo nous rebooste en nous disant que nous sommes la 2ème équipe à en terminer de ce trek. Nous étions partis 7ème. Cependant, il y a derrière nous des équipes ayant déjà effectué le VTT. Malgré tout on se relance et rentrons au camp à un bon rythme. On nous annonce que nous avons une bonification de 2h car nous aurions dû reprendre la navigation à 6h au lieu de 8h en kayak. Nous engloutissons nos derniers hamburgers et en route pour la dernière section. Le départ par la route est difficile on s’endort tous. Puis longue descente et une bosse de 20km avec plus de 1200m de positif. Petit à petit on prend un rythme plutôt bon. J’ai de supers jambes, Lolo souffre toujours du genou, on tend l’élastique. Adri gère l’orientation. Plus on monte mieux ça va. Je me dis qu’on mettra moins de 8h pour faire cette section. Avec la bonif de 2h on peut accrocher la 4ème place voir mieux. Je motive l’équipe. On termine en trombe, une dernière descente comme si le raid ne durait que quelques heures. Une bonne dernière partie de manivelles sur la route à 35km/h pour s’entendre dire sur la ligne qu’on est 3ème. Mais c’est un peu la confusion… et finalement avec la bonif on fait 2 ! Inès en a les larmes aux yeux, nous aussi je présume. Ça a marché !

On n’a rien lâché même si on a tous eu des moments de doute. L’équipe a été très homogène et malgré les difficultés, les erreurs et la fatigue, il n’y a eu que peu de tension. On ne réalise pas vraiment ce qu’il vient de se passer. On rejoint le village pour l’arrivée virtuelle.

Notre seul regret est de n’avoir pu rester à la cérémonie de remise des prix pour partager quelques moments supplémentaires avec El Gringo, Inès et tous les organisateurs et coureurs qui nous ont offerts une magnifique aventure en terre argentine. Un grand merci à toute l’équipe Tierra Viva !