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Championnat du Monde 2014 : l'histoire était trop belle...

Un RIF qui laisse un gout d’inachevé, le rêve de franchir une ligne d’arrivée fatigués, les pieds usés, les muscles meurtris, des émotions plein les yeux, plein les veines, nous hante encore en cette fin septembre… Equateur… il nous faut aller en Equateur ! Mais comment imaginer une seconde, réunir les 10 milles euros nécessaires ?

Cumulé, sur 10 ans de raid, nous n’avons pas obtenu cette somme. Tous nos proches se mobilisent et notre appel au secours reçoit un écho, d’abord auprès des élus, puis des partenaires privés. Commence alors à naître un soupçon d’espoir et le plus beau est à venir : un bout de dossier sponsorise.me (sponsoring participatif) et en 24h les 800 euros initialement sollicités sont atteints. On a le budget… Certes il faudra sortir environ 1000 euros chacun mais l’aventure est lancée. L’engouement est inimaginable et on atteint bientôt 2400 euros grâce à plus de 50 généreux contributeurs : MERCI encore.
On se plonge dans les news-letters de l’orga, prépa matos, billets d’avion… on prend même le temps de se faire un week-end acclimatation à l’altitude, et au passage, aux sensations fortes, dans le massif du Mont-Blanc.

Quito, J-2 : malgré notre arrivée en dernière minutes dans la capitale équatorienne, nous sommes relativement sereins. Les vérif techniques et matos se passent bien et nous attachons une attention particulière aux consignes qui nous sont formulées par les organisateurs. L’altitude n’est finalement pas trop contraignante, en tous cas pour le moment. Le samedi matin des infos complémentaires nous sont communiquées : 8h de repos obligatoire à prendre par tranche d’une heure minimum sur les TA 3, 4, 6 et 8, dont au moins deux à cette dernière transition. Dark-zone sur le premier kayak (section 7) entre 18h30 et 5h30. La cérémonie d’ouverture dans le vieux Quito nous permet de découvrir cette ville chargée d’histoire ainsi que les danses locales. On touche également du doigt ce qu’il nous attend en terme de météo : un violent orage de grêle s’abat sur nos têtes alors que quelques minutes avant chacun cherchait l’ombre d’un soleil de plomb. Le briefing nous dévoile les derniers éléments nécessaires ainsi que les cartes. Une soirée de tracé rapide des iti : peu de choix d’orientation mais des cartes qui paraissent piégeuses et quelques calculs stratégiques me laisse penser qu’il sera compliqué de passer la dark-zone le mercredi : on décide donc de jouer la carte de la sagesse avec un départ calme pour monter en puissance dans le dernier tiers de course annoncé comme le plus difficile.
Pied de l’Antisana, H-1 : Après 3h de bus sur des routes puis pistes tortueuses, nous sommes enfin à l’air libre. 3800m d’altitude, grand soleil et une douceur surprenante. Tous les voyant seraient au vert si Fanny ne souffrait pas de mal de ventre. Elle a déjà vomi en descendant du bus et sa mine ne laisse rien présager de bon. On positive malgré tout, mais savons qu’il faudra temporiser sur le départ d’autant que l’altitude ne devrait pas arranger les choses. Sur la ligne de départ nous embrassons une dernière fois les copains de Raidlight.

Ça part en trottinant, plusieurs choix permettent de relier la grande piste qui mène au premier col. J’avais choisi de rester dans le vallon pour remonter au bout de celui-ci sur la piste. Mon choix est conforté lorsque je vois Seagate, Raidlight et les Espagnols s’engager dans cette voie. Toutefois la rivière que le sentier coupe à deux reprises s’avère compliquée à traverser et lorsque nous ressortons sur la piste, une vingtaine d’équipes ayant contournées par la route sont déjà passées. Rien de grave, nous prenons notre rythme et doublons lentement des teams moins rapides que nous tout en s’assurant que Fanny ne se mette pas en sur-régime. Nous profitons d’un panorama sublime, sans être réellement gênés par l’altitude. On bascule, l’orientation paraissant si simple sur la carte est déjà douteuse. La trace à suivre n’est pas super visible et nombreuses équipes tirent trop droit vers la vallée. Je tâche d’aiguiller l’équipe en m’appuyant sur le relief. On recolle bientôt dans la descente technique aux équipes qu’on a l’habitude de côtoyer  (Tchèques, Peak Performance…). La descente devient boueuse et Fanny parait avoir quelques signes de fatigue. On ralentit la progression en gardant en tête l’objectif de se préserver même si ça démange de trottiner. Une grosse piste pour rallier la premier TA.

Nous accusons déjà presque 1h de retard sur la tête. Mais sur un championnat du monde ça part toujours très vite devant. Malgré l’effervescence, nous effectuons une bonne transition et nous élançons sur un VTT de 70km. 40km de descente sur une route (pas vraiment notre spécialité) nous permet tout de même de se ravitailler. Un bout de grosse piste où nous faisons route commune avec les Calédoniens et où un orage vient à peine rafraichir l’air ambiant. Je zieute depuis le départ de la section ce petit sentier sur la carte en me disant qu’on va enfin se faire plaisir en vélo. Mais le fameux sentier n’est autre qu’une trace boueuse où il nous faut porter les vélos…

A la TA suivante, il y a toujours autant de monde : tout le village semble mobilisait : les encouragements pleuvent, et un véritable festin nous est proposé : pâtes, sandwichs, fruits en tous genres. On se gave, même Fanny s’alimente ! ça y est, on va mettre la machine en route. Le trek suivant commence par une longue piste où nous tachons de trottiner dès que la pente se réduit. Le premier pont se profile et je commets une petite erreur en tentant de passer par le sentier carté alors que l’accès se fait par le lit de la rivière. Quelques minutes perdues, rien de grave. On enfile les baudriers et traversons ce pont suspendu qui semble d’un autre siècle. L’itinéraire change alors du tout au tout : nous sommes maintenant dans la jungle sur le flan d’une vallée abrupte au fond de laquelle coule un puissant torrent. La trace est glissante et très sinueuse. Près de 20km ainsi nous attendent avec une vitesse de progression très lente. Malgré l’attention qu’il faut porter à là où on pose les pieds, le sommeil m’envahit. Nico et Oli m’encouragent et en dépit de notre faible allure nous restons positifs. Le second pont est en bien plus piteux état que le premier : chaque planche encore présentent craque… La pluie fait son apparition au milieu de la nuit et la température ne tarde pas à chuter, nous rappelant que nous sommes à 3000m d’altitude. On rejoint la piste qui mène en une dizaine de km à la fin de la section et profitons d’un abri pour enfiler vêtements secs et gore-tex. La suite n’est pas très plaisante mais au moins on avance bien plus vite. Plus qu’une paire de km lorsque Fanny stoppe brutalement, s’agenouille et vomit. Tout de suite je comprends qu’il ne s’agit pas d’une simple nausée, elle vomit  noir, du sang. On la laisse se remettre et chacun de nous a compris que la course est finie. Un véhicule de l’orga nous croise, on leur explique la situation et il contacte le médecin présent à la TA. Celui-ci se déplace et embarque la miss nous faisant indirectement comprendre ce qui nous hante déjà. Nico, Oli et moi rejoignons la transition discutant déjà de la suite.

A la TA, Fanny a été examinée et perfusée. Son état semble correct, mais le médecin l’invite à se rendre à l’hôpital de Quito pour de plus amples examens. Commence alors un long chemin de croix psychologique. Fanny nous demande ce qu’on envisage de faire, elle nous suggère de continuer. Je suis favorable pour prolonger l’aventure. Oli propose de progresser en mode voyage en s’arrêtant lorsqu’on le souhaite et Nico parait plus perplexe quant à sa motivation pour se mettre le compte. On fait un bon casse-dalle et lui laissons faire un brin de sieste en espérant que ça inverse la tendance. Presque 3h après notre arrivée, nous repartons en vélo sans trop savoir comment nous allons réellement fonctionner. J’espère que se remettre dedans va relancer la machine pour que l’on profite du parcours, du pays, du voyage. Oublier le froid et la pluie de la nuit, maintenant le soleil nous frappe à la verticale : on s’arrête pour mettre de la crème, puis quelques minutes plus tard pour faire un dodo. La montée vers le col est longue et l’altitude se fait ressentir. Nous basculons et rapidement la fraicheur nous transperce à nouveau. On stoppe pour enfiler une petite laine et Nico nous annonce qu’il ne se sent pas de faire 140 bornes de vélo. On en reparle et la décision est prise de revenir à la TA précédente. Je me doute que la semaine va alors être très difficile. A la TA nos caisses sont déjà parties : nous n’avons donc que quelques vêtements. L’orga, efficace, nous dégote un plan pour rentrer sur Quito après un saut aux bains chauds naturels du village.

Nous rejoignons, en fin de soirée, Fanny dans un petit hôtel du quartier touristique de la ville. On fait des plans sur les jours à venir mais l’atmosphère est lourde. On décide de partir le surlendemain en bus direction le départ du kayak. Mais une « légère » confusion dans les noms de villages nous propulse au milieu d’un bled pommé où ne rode pas l’ombre d’un raideur.  Finalement la police locale nous recale et nous transporte même jusqu’à la TA 8 (arrivée du kayak). Ils nous font goûter les fèves de cacao fraiches. A l’approche de la transition on croise Seagate qui démarre la section vélo. Ils paraissent fatigués mais sont souriants.

Les orga nous informent que plusieurs équipes sont sur l’eau : les Espagnols ne devraient pas tarder, et environ 1h30 derrière suivent les Français et les Equatoriens. Nous suivons les Espagnols lors du portage kayak et les encourageons à la transition. Ils sont peu efficaces et impatients de rejoindre la TA8 pour prendre leurs 5 dernières heures de repos. L’heure tourne et la porte horaire de la dark-zone se rapproche, aussi lorsque nous apercevons Mimi, Jacky, Sylvain et Vincent sortir de l’embouchure de la rivière nous sommes rassurés. Ils sont marqués, mais lucides et pressés de nous raconter leurs aventures. Nous les accompagnons durant le fastidieux portage et tentons de leur apporter encouragements et réconfort durant la transition. Comme les Espagnols leurs préparation et lente et désorganisée mais ils repartent dans la nuit gonflés à bloc avec en tête de reprendre du temps sur leur concurrents directs. Les Equatoriens sont bloqués sur la rivière par la dark-zone à quelques centaines de mètres de l’arrivée. Le podium est dessiné.

Nous repartons dans la benne du camion qui transporte leurs caisses vers la transition suivante la TA8. 1h30 de cure de poussière et gaz d’échappement plus tard, nous retrouvons Seagate proche du départ après leur 2h de repos obligatoires. Ils s’éloignent dans la nuit en boitant. Leur allure n’est pas sûre mais ils sont déterminés à rejoindre l’arrivée en vainqueurs. Nous profitons alors des populations locales : un restaurant (c’est un grand mot) nous ouvre ses portes et pour quelques dollars nous nous remplissons le ventre. Plus tard, les Espagnols arrivent, ils se ravitaillent et rapidement se jettent dans leur duvet. Barbara, autant improbable que cela puisse paraître, dort dans la sa caisse vélo… Nous descendons le chemin par lequel les français doivent arriver. Leurs frontales apparaissent dans la nuit et nous les accompagnons jusqu’à la transition. Le « restaurateur » leur propose un plat (le menu est unique) riz-poisson. Vincent se fait soigner les pieds. Sylvain et Mimi sont relativement frais. Jacky semble plus éprouvé. Ils mettent une éternité à se préparer et à se coucher. On aurait envie de les aider… Finalement, nous les laissons et allons à notre tour rejoindre notre pseudo campement.

A 2h30 je me réveille, ils ont prévu de partir dans 45min. Je me lève alors, afin de leur faire un coucou. Seul Vincent a émergé. Je n’ose trop m’approcher, mais les minutes défilent et je crains qu’ils ne prennent du retard. Finalement, ils se réveillent tous et s’activent conscient que l’heure du départ est proche. Jacky assit reste immobile. A tour de rôle ses équipiers le supplient de se remuer, mais son inaction est irréelle. Avec une lenteur démentielle il finit par enfiler ses chaussures alors que Sylvain lui fait son sac. Avec plus de 20min de retard ils prennent la direction de la jungle. Je les accompagne jusqu’à la sortie du village. Finalement, ils n’iront pas guère plus loin et dormirons presque 5h car Jacky ne se réveillait pas.

Le lendemain, les Equatoriens arrivent en milieu de matinée avec une fraicheur qui contraste avec ce que nous avions vu la veille. Ils sont conscients qu’ils ont laissé le podium s’envolé sur la rivière mais restent souriants et efficaces lors de la transition. Ils repartent 10h après les Français. En milieu d’aprem vont alors s’enchainer les arrivées : Tecnu, Adidas Terrex puis enfin, Raidlight ! Ils sont en forme et nous racontent déjà leur aventure dans les derniers hectomètres du VTT où nous les accompagnons. Ils sont marqués mais aussi hyper lucides et motivés pour la fin de course. Ils savent que ça va être très serré et compte bien sur la difficulté du dernier trek pour tirer leur épingle du jeu.

La fatigue et la souffrance se lit dans leur yeux, mais aussi, en regardant bien, plus profond, on le discerne, ils en sont inondés, saturés… Le plaisir coule dans leurs veines, de la tête aux pieds c’est lui qui les fait avancer alors que nos artères ne diffusent à nos cerveaux que des flots de frustration. Les équipes se succèdent et on ne voit plus que ça : ce poison que seul plusieurs jours d’effort, que seul le manque de sommeil, que seul l’aventure extrême sécrète. Malgré la proximité, malgré les échanges, malgré tous nos efforts, rien n’y fait : impossible d’y goûter ça ne se partage ainsi. On reste donc avec ce goût amer qui nous hante que l’on ne supporte plus et que l’on devra trainer encore plusieurs jours.

On rejoint Mompiche, village d’arrivée. La plage, les palmiers, les cahutes en bambous n’y changent rien, au contraire. Les NéoZ sont arrivés dans la nuit remportant ce championnat du monde 2014. Les Espagnols ont pris la seconde place quelques heures après. Nous assistons à l’arrivée des Equatoriens 3ème. Nous partons dans l’aprem à la rencontre de Mimi, Jacky, Vincent et Sylvain que nous trouvons à 2km de l’arrivée. Ils sont marqués, marchent pieds nu sur la route et progressent très lentement. Tellement, que je m’inquiète d’un éventuel retour d’une autre équipe. Mimi me rassure en m’indiquant que les orga leur ont dit que derrière les équipes étaient à plus d’une heure. La nuit tombe et sur la plage, alors que la ligne est en vue, il nous semble percevoir 4 coureurs au loin, on s’alerte, on plisse les yeux pour constater qu’une équipe fond sur nos français. Les Américains les doublent ainsi à 100m de la ligne. Fin un peu bizarre que ce sprint. On repart à la rencontre des Raidlight et croisons les Anglais qui, affolés, courent à un rythme impressionnant vers l’arrivée. Nous remontons encore cette route mais ne trouvons jamais nos copains : où sont-ils ? On attend presque 1h sans trace d’eux. Une voiture passe, on l’arrête et nous faisons ramener au village où on découvre Audrey, Toto, Adri et Seb au restau tout propres ! Ils sont passaient par la route lorsque nous remontions la plage puis le chemin… nous avons même réussi à rater leur arrivée ! Ils nous racontent leur fin de course tout aussi tordue que celles du Team France. Les Anglais sont sortis de l’eau juste après eux et, plutôt que de leur proposer de finir ensemble, ces derniers sont partis tambour battant en courant tombant au passage leur matos de navigation que les copains leur ont ramassé et rendu à l’arrivée… Nous ne devons pas tous avoir la même approche de l’aventure et de ses valeurs.

Les jours suivants sont pour nous 4, tout aussi difficiles : l’ambiance entre nous est lourde et les tensions s’amplifient. Un pseudo-debrief apaise un poil les choses, mais il faudra surtout du temps. Retour sur Quito, soirée de remise des prix un peu bâclée et nous nous rapprochons enfin de ce qui sera notre salut : le retour en France. Une petite dernière surprise nous attend puisque aujourd’hui (9 décembre) nous n’avons toujours pas reçu nos caisses vélo et tout le matos qu’elles contenaient…

Une histoire à oublier quoi, mais voilà, nous n’étions pas seuls… 61 contributeurs, 7 partenaires privés, des élus, les amis, la famille nous ont soutenus financièrement et moralement. Alors, si à ce jour, la déception a pris le dessus, c’est bel et bien un sentiment de honte, d’irrespect qui m’a hanté durant de nombreux jours. Difficile de remercier et de remplir les conditions du contrat. Ça viendra, on fera ce à quoi on s’est engagé, juste encore un peu de temps...