Accueil

Championnat du Monde : Wyoming Cowboy Tough

Impensable, surdimensionné, rêves, déception, démentiel, inconcevable, démesuré, inaccessible…


Le Wyoming est l’Etat le moins peuplé des Etats-Unis : 4 hab/km2 (pour info la Lozère c’est 14 !). Casper est l’une des plus grandes villes de l’Etat du Wyoming bordé au Sud par le massif montagneux Casper Montain et au Nord par une étendue désertique.

C’est à Casper que nous atterrissons après un voyage de presque 24h. L’hôtel est confortable mais pas vraiment tourné vers l’extérieur : les rares fenêtres sont condamnées, la clim poussée à fond et les lumières allumées en permanences. Tout est ainsi à Casper : magasins, restaurants… les américains sont toutefois très agréables et courtois. Un premier saut à vélo en ville et dans un magasin nous permet de constater qu’il sera difficile de trouver les produits que l’on a l’habitude de consommer en course : énormément de gâteaux très sucré, des montagnes de pain de mie et de chips… Au cœur de la journée la chaleur assomme et la luminosité est difficilement supportable. Nous avons 5 jours pour préparer tout le matériel, effectuer les vérif techniques, répartir les vivres dans les différentes caisses… c’est long, trop long !

Jeudi matin à 5h30 nous récupérons les cartes accompagnées du roadbook et des infos complémentaires : de quoi s’occuper durant les 5h de bus à venir… la qualité des cartes nous surprend : difficilement lisibles, elles paraissent d’un autre temps. Malgré tout, nous tâchons de déterminer les différents choix tout au long des 700km de course. Nous nous octroyons même un dernier petit somme avant d’arrivée à Jackson Hole. On a changé d’univers : au pied de superbes montagnes, l’air et plus respirable et la luminosité plus agréable.

Le départ est donné droit dans la pente et nous effectuons un rapide prologue au-dessus de la station dans un réseau de sentiers. L’enchainement avec la section 2 se fait sans perdre une seconde. Le rythme est élevé, nous sommes avec les copains de Naturex et progressons à vive allure sur une piste cyclable. Je souffre déjà mais je sais que nous allons rapidement atteindre la rivière et les packrafts. Dans l’air de transition les premières équipes n’ont pas encore embarqué et s’attachent à gonfler les bateaux. Nous faisons de même et nous engageons dans la rivière : magnifique ! Entourés de montagnes enneigées nous dévalons la vallée sur une large rivière au débit important. Hormis les copains de Naturex que nous gardons en point de mire, nous ne voyons aucune équipe. Nous qui craignons de se retrouver dans des bouchons…

Dégonflage des bateaux et nous partons déjà sur le premier gros chantier de ce championnat du Monde : trek de 64km. Après quelques kilomètres d’ascension nous abandonnons les Naturex car Colo s’est fait piquer par un insecte et souffre de vertiges. Nous atteignons donc seuls les crêtes baignées par les derniers rayons du soleil qui s’attardent quelques instants : les paysages sont grandioses et la tombées de la nuit les rend féériques. Notre rythme est correct, on s’attache à courir dès que la pente le permet. Nous apercevons parfois des équipes au loin et revenons sur celles nous précédents directement : une équipe américaine, et les Estoniens. Un petit stop pour prendre soin de nos pieds, sortir les frontales et enfiler un manche longue.

Les Naturex nous reviennent dessus comme des avions : Colo leur a fait peur et ça semble leur avoir donner des ailes. Nous nous mettons dans leur sillon. Rapidement je trouve le rythme soutenu, nous manquons déjà d’eau et au vu de la suite de notre itinéraire nous risquons d’attendre encore de longues heures avant d’en trouver. Nous restons tout de même avec eux, je souffre à nouveau et perd régulièrement le rapport carte/terrain. Nous dépassons plusieurs équipes et basculons enfin dans la descente au terme de laquelle nous devrions traverser une rivière. Le plein d’eau fait nous reprenons notre progression sur un rythme moins élevé et nous nous retrouvons rapidement seuls, même si nous croisons parfois les Estoniens. La fatigue et le froid de la vallée commence à nous envelopper. Fanny réclame une pause pour s’alimenter. Nous hésitons, mais sous son insistance, nous décidons d’un stop de 10min. La fin de ce trek semble interminable et c’est à nouveau accompagnés des Estoniens que nous atteignons enfin la transition. Les températures ici sont glaciales, en témoigne le givre sur nos caisses vélos. Peu efficaces, nous montons les vélos et grignotons un peu. Il me faut déjà mettre une chambre dans ma roue avant dont j’avais pourtant fait changer le pneu à Casper pour la modique somme de 100$ !

Nous reprenons la route avec peu d’enthousiasme, mais au détour de la montagne s’offre à nous un superbe levé de soleil : énorme boule incandescente rouge à l’horizon. On oublie le froid et la longue portion de route qui nous attend et appuyons fort sur les pédales. Sur l’asphalte, Nico et Max se relayent sans répits et nous permettent d’avaler les kilomètres à près de 30km/h. Jamais nous n’imaginions rouler aussi vite sur une section de raid. Le compteur s’emballe et nous nous rapprochons rapidement de la fin de la partie goudronnée. Nous bifurquons enfin sur un large chemin et tout s’arrête : en quelques centaines de mètres je me retrouve seul devant. J’essaye de remotiver les troupes, la balise est toute proche. Nous prolongeons un peu l’arrêt à celle-ci pour permettre à Fanny de prendre soin d’elle et sommes alors surpris de voir les FMR nous revenir dessus. Nous les imaginions aux avant-postes. Nous reprenons la route ensemble et ils nous expliquent leur mésaventure de la nuit. Nous faisons route commune et tachons de coller à la carte dans cette ascension vers un nouveau massif au réseau de chemins plutôt paumatoire. Petite erreur en approche du poste vite rectifiée et nous amorçons la descente vers la transition. Les FMR ne sont plus trop dans la course et nous tentons de trouver les mots pour les remotiver. Une large combe où serpente une rivière magnifique nous amène à la transition. Les surprises s’enchainent alors : d’abord nous croisons les américains qui s’engagent juste dans le trek suivant. Ensuite, on nous annonce 5ème ! Enfin l’orga propose des hamburgers !! Toutefois, FMR repart quelques minutes avant nous et Naturex et les Estoniens arrivent également à la transition dans la foulée.

Nous entamons ce nouveau chantier de 64km à pied en engloutissant hamburgers et lyophilisés, puis prenons un rythme un peu plus soutenu. Nous croisons à nouveau FMR, qui nous lâche une nouvelle fois. Il s’agit de suivre la Continentale Divide, itinéraire parfois balisé, parfois pas, parfois sur sentier, parfois pas… Nous nous efforçons de ne pas commettre d’erreur et de trottiner dès que le terrain le permet. Au détour d’un étang, nous ne trouvons plus de balisage et tentons de suivre la trace spécifiée sur la carte. Mais rapidement le sentier se perd et nous naviguons hors chemin. La forêt est maintenant jonchée de centaines de troncs morts : un vrai micado géant. La progression est lente et fastidieuse, l’orientation compliquée. Nous restons concentrés mais l’approche de la nuit nous angoisse quelque peu. Enfin, nous retrouvons le chemin avant que la lumière naturelle ait complétement fait place à la nuit. Au coin du chemin les Estoniens nous font part de leur galère identique à la nôtre. Le CP suivant n’est pas pour autant gagné car il faut déjà jouer à nouveau hors sentier. La suite s’avère encore compliquée avec un camping incompréhensible et une traversée de rivière délicate. On reprend pied dans la longue remontée vers un col lorsque le sommeil nous assomme Fanny et moi, nous décidant à faire un stop pour dormir un peu. Toutefois, Fanny entend des ours à chaque bruissement de feuilles et hormis Max, personne ne ferment vraiment l’œil. Les FMR passent, suivis quelques minutes après des Américains puis des Naturex. On repart donc après 30 petites minutes de repos. On reprend rapidement les Naturex dont Colo a goûté l’eau d’un ruisseau… Dans la remontée suivante, on trouve à nouveau FMR qui se posent des questions quant à l’orientation. Calé je leur donne l’info. Un bon moment passé entre équipes françaises et je perds un peu pied dans la progression et le rapport carte/terrain. Je tente de trouver un élément me permettant de nous recaler. Enfin, une clairière non cartée mais dans un grand vallon caractéristique me permet de nous recaler. Nos compagnons nous ont faussé compagnie mais au moins je suis sûr de là où nous sommes. On les retrouve à un col où ils tergiversent un peu et je suis certain qu’ils sont heureux de nous voir sur de nous. On dégote ensemble la balise et prenons avec FMR la direction du balisage alors que Naturex sent le mauvais coup et prend le chemin qui est le bon. Demi-tour et retour sur la bonne trace, on retrouve plus bas Naturex qui galère sur un croisement bizarrement carté. On file enfin ensemble vers l’arrivée de la section non sans mal pour mes jambes qui réclament de marcher alors que tout le monde court. Je sers les dents et m’accroche à la laisse de Nico pour ne pas ralentir l’équipe mais ça pique. Le site de la transition suivante est superbe : ancien village minier nous sommes en bordure d’un ruisseau sur de magnifiques pelouses. En revanche, notre transition à nous est minable : de longues minutes de préparation et lorsque nous sommes presque prêt on attend Fanny qui a besoin de temps pour se ravitailler et choisir ce qu’elle prend. Ça m’agace particulièrement, moi qui ai fait l’effort durant la dernière heure pour ne pas perdre quelques minutes, mais je prends sur moi : nous ne devons pas nous désunir maintenant, bien au contraire.

 

Le VTT suivant est très roulant sur les premiers kilomètres et même si de belles montées et une carto hallucinante d’erreur nous tiennent éveillées, nous progressons bien. On remonte maintenant un col sur un large chemin et apercevons les Américains que l’on remonte au train. On bascule, longue descente avant de reprendre une ascension raide et ainsi de suite… on double et lâchons finalement les Américains avant la dernière remontée et basculons seuls dans la dernière descente exceptionnelle : sentier mono-trace propre et lacets à volonté durant plusieurs kilomètres dans des paysages grandioses, du régal !

A la transition nous posons les vélos pour effectuer une boucle avec un rappel et une boucle avec une spéléo. Les équipes suédoises ont terminé cet enchainement et sont sur le départ. Nous effectuons le rappel, puis la spéléo avec une petite frayeur pour Max qui ne trouvait plus la sortie de la grotte alors qu’on avait oublié le doigt avec les sacs dehors…

 

Transition à nouveau très moyenne et nous repartons avec les Américains quelques minutes après Naturex. On se regroupe vite et tentons de s’organiser sous l’orage afin de profiter d’être à 3 équipes sur cette section roulante de 264km. Difficile de trouver une organisation efficace. Nico et Max se demandent même si on ne devrait pas faire route à part : ils ont des fourmis dans les jambes. Finalement nous trouvons une stratégie efficace en faisant rouler chaque équipe 10min devant. Nous remontons alors un superbe canyon aux couleurs ocres. Thomas souffre à nouveau de vomissement et nous abandons donc les Naturex à ce triste sort. Les Américains peinent de plus en plus à nous suivre et prennent moins de relais. Ils tentent tout de même de nous faire peter sur une portion de route. La nuit tombe et la fatigue commence à nous embrumer l’esprit. Nous avons l’impression de rouler pour eux et d’orienter pour eux, mais les Américains apportent leur contribution en mettant un brin de musique très efficace pour rester éveiller : faudra y penser dans le futur ! Ils s’arrêtent tout de même pour dormir et nous continuons notre progression de plus en plus pris dans les tourments du sommeil. Nous ne trouvons pas le chemin initialement envisagé, continuons à l’Est puis décidons de dormir 2h au milieu de nulle part. Après une heure de dodo le froid nous contraint tous à se remettre en selle. Nous repartons sans être hyper-calés et nous nous obstinons à trouver un chemin revenant vers le Sud-Ouest. Chose faites mais les dits chemins dans ce secteur ne sont pas roulant et nous progressons à faible allure. Il aurait fallu sortir de la carte à l’Est afin de rejoindre une piste très roulante. Nous en prenons conscience trop tard et rejoignons le CP en sachant qu’on vient de perdre de précieuses minutes. La suite est un enchainement de longues pistes où nous souffrons à tour de rôle du sommeil. Il faut que le soleil pointe son nez accompagné de nos amis Américains pour définitivement nous réveiller. On revient doucement sur Naturex et les Estoniens et nous retrouvons au CP 28 à 4 équipes à la bagarre pour la 4ème place. Ainsi, nous terminons avec de faibles écarts ce long vélo vers 9h le matin.

 

Nous effectuons enfin une transition correcte et repartons une dizaine de minutes après les Américains et les Estoniens. Sur la première partie trek ces derniers ont coupé pour rejoindre le bord du lac, nous choisissons de rester sur le chemin carté : bonne pioche ! On pointe le CP avant eux et nous gardons bien de leur indiquer lorsqu’ils nous aperçoivent. On gonfle les packrafts et nous élançons sur le lac avec une petite longueur d’avance. Le vent favorable permet de rapidement traverser le lac et rejoindre le barrage. Nico a alors compris qu’on pouvait faire le break et nous encourage à faire au plus vite. On descend en courant le sentier permettant de rejoindre le canyon et remontons dans les bateaux sans apercevoir nos concurrents derrière.

Le canyon et superbe avec plusieurs franchissements techniques entre des chaos de rochers. On est super motivés et efficaces. On débarque enfin et dégonflons les packrafts pour une partie pédestre de 8km. Nico nous surmotive, on court partout même lorsque la pente s’élève. L’orage gronde et nous galvanise encore plus. Il ne faut rien lâcher pour conserver notre avance : nous sommes 4ème, inespéré avant le départ de ce championnat du Monde. On aperçoit au loin des personnes qui marchent sur la route, on pense à des randonneurs. Puis nous comprenons qu’il s’agit d’une équipe : surement un team ayant subi un shunt. Mais plus on se rapproche plus il nous semble reconnaître l’équipe Silva. On fond sur eux, plus aucun doute. On bascule et voyons maintenant les Swedich Armed Force tentant de maitriser leurs packrafts gonflés dans les rafales de vent. C’est surréaliste : on double sans aucun effort et distançons les 2 équipes de Suédois, nous sommes en seconde position des championnats du Monde et peinons à y croire. On reste tout de même concentrés, encore 3h de packraft et 3h de vélo avant l’arrivée.

On se ravitaille et pensons à la suite. On regonfle les bateaux pour s’engager sur un nouveau bras de lac. Les Suédois s’engouffrent dans un passage que l’on avait cru comprendre comme interdit. Après discussion et avoir aperçu les caméramans nous les suivons. On débarque à nouveau pour quelques centaines de mètres et réembarquons à nouveau devant. Plus costauds que nous à la pagaye les scandinaves reviennent petit à petit mais nous gérons l’écart avec l’assurance que sur la dernière section à vélo nous serons plus forts. La nuit tombe et le froid avec. Nous avons enfilé les vestes gore-tex. Max commence à s’endormir, je tente de le motiver pour le tenir éveiller, mais rapidement il se plaint du froid. Il enfile un bas gore-tex, mais sans pagayer il est rapidement transi de froid. Je l’enroule dans une couverture de survie afin qu’il se réchauffe et tienne jusqu’à la transition : encore 6 ou 7 km de bateau. Mais il tremble et en quelques minutes perd complétement pied. J’appelle Nico et Fanny qui constatent les dégâts : il ne répond plus, et semble perdre connaissance. On tente de repérer un possible accès pour débarquer mais la falaise borde le bord droit de la rivière alors que la rive gauche n’est que roseaux difficilement accessibles. On décide de rallier la transition au plus vite. Nous avons tous compris que la course était terminée et que l’enjeu était maintenant tout autre. Je tache de tout donner Max allongé inconscient entre mes jambes. Lorsque nous arrivons, nous sommes vite aidés par les bénévoles sur place ainsi Kyle supporter/capitaine de l’équipe Américaine qui prend en charge Max. On lui hôte ses vêtements mouillées le rhabillons avec du sec et l’enroulons dans un duvet. Plusieurs minutes sont nécessaires avant qu’il ré-ouvre les yeux et nous adresse quelques brefs signes de tête. L’ambulance l’évacue vers l’hôpital de Casper. Fanny l’accompagne. Il se remettra rapidement sur pied : il a de la ressource le bonhomme même avec 80h de course dans les guibolles.

Le reste, malgré un goût amer au fond de la gorge, sera composé de bières, hamburgers et échanges avec les copains du raid.

Nous aurions tant souhaité aller au bout de cette aventure pour remercier les nombreux soutiens qui se sont amassés derrière nous ces dernières semaines, avec en premier lieu les collectivités lozériennes et leurs élus (Ville de Mende, ComCom Cœur Lozère, CD Lozère) qui nous ont fait confiances et largement soutenus. Tous les partenaires qui nous ont donné un coup de pouce (Salomon, Groupama, Colas, Generali Mende, Entreprise Bugeaud, hôtel Rinjanibeach Ecoresort, garage du Randon, Sport 2000). Bien entendu tous les amis qui ont contribué à travers le sponsorise.me au-delà de toutes nos espérances. Et en dernier chef, remercier nos tendres qui gèrent, encaissent, assurent et nous ramassent en miettes.

Malgré cette fin prématurée, nous avons pris énormément de plaisir durant cette quinzaine américaine aux côtés des équipes françaises et étrangères et à travers une bagarre toujours ponctuée de respect et de fair-play. Les tracés qui paraissaient démentiels sur le papier étaient en fait bien pensés, diversifiés et magnifiques. J’espère qu’on aura contribué à faire briller, quelques heures durant, le raid français et pourquoi pas, donné envie à de jeunes pousses de se lancer dans l’aventure car certains ne devraient pas faire 10 saisons de plus…